Article dans "le journal des avocats"

Par Jean-Jacques Vandenbroucke, président d'OpenMusic, et dessin illustratif par Gaël Le Fur, architecte. Février 2018

« Sans le jazz, la vie serait une erreur … » (Boris VIAN)

Dessin par Gaël Le Fur, architecte
Dessin présageant de l'ambiance dans le "futur" Club de Jazz, par Gaël Le Fur, architecte

J’ai organisé mon tout premier concert*1 lorsque j’étais en première candi et, depuis, j’ai dû en organiser plusieurs centaines – je n’étais pas tout seul - , avec toujours le même plaisir du partage et des rencontres mais aussi avec le regret (le complexe ?) de ne pas être musicien moi-même*2.

 

J’affirme ici que les musiciens de blues et de jazz sont des gens très fréquentables. Ils sont passionnés, globe-trotters infatigables, curieux de tout, et pour la plupart d’entre eux, dotés d’un solide sens de l’humour.
 

Fin des années quatre-vingts, avec une petite centaine de copains/pines (c’est la dernière fois que je fais usage de l’écriture inclusive, promis !), j’ai mis sur pied un festival de blues qui eut son heure de gloire, le Blues Rock Festival d’Houthem, avec des têtes d’affiche prestigieuses :  Robben Ford*3, Dr Feelgood, Rufus Thomas, Otis Grand, Alvin Lee, entre autres !

 

En 1997, nous avons décidé de mettre fin à cette belle aventure.

 

Les financements devenaient plus compliqués ; les cigarettiers*4 jusque là fort généreux ne pouvaient plus sponsoriser les événements musicaux.

 

Bref, notre comité ne voulait pas connaître le déshonneur d’une déconfiture de l’ASBL.

 

Il est vrai que nous étions entretemps devenus des notables de province bien installés (on ne disait pas encore « bobos » à l’époque ...) et qu’il eût été hautement préjudiciable à notre (bonne) réputation de ne pas honorer nos créanciers.

 

Avec les quelques sous qui lui restaient, notre ASBL continua à organiser bon an mal an des concerts « juste pour nous faire plaisir ».

 

Bj Scott (elle ne sévissait pas encore dans une infâme émission de télé crochet), El Fish, Big Dave, Dany Klein, Arno, Memo Gonsales, Gatemouth Brown, The Yardbirds ( !), … ont notamment fait la joie des retrouvailles annuelles des bénévoles de la glorieuse époque du Bues Rock Festival.

 

En 2012, nous décidons de reprendre des activités musicales plus resserrées, au rythme d’un concert par mois.

 

Notre association modifie sa raison sociale ; elle devient « ASBL OPEN MUSIC »*5 et a pour ambition d’inviter régulièrement des musiciens de jazz.

 

Du jazz, au sens large, « open music ».

 

Nous pensons en effet que de Louis Amstrong à Eric Truffaz (ou Ambrose Akinmusire ou Ibrahim Malouf ou Avishai Cohen*6 …, pour ne prendre que des trompettistes d’aujourd’hui), il y a toutes sortes de rythmes et de notes bleues, il y a tant de chants, de vibrations, tant de swing, de groove, de cool attitude(s), de bebop, de hardbop, de jazz-rock, de free, d’électro, tant de chagrins et de joie exprimés, d’exaltations et d’extases,  qu’il serait dommage de nous en priver et de nous cantonner à un seul format de jazz.

 

C’est un lieu commun – et je l’assume – que de rappeler que le jazz est avant tout la musique de la liberté, de l’impro, de la révolution toujours à faire, la bande-son de toutes les libérations.

 

Non, le jazz ce n’est pas seulement de la (très bonne) musique, c’est aussi une manière de penser et de vivre*7.

 

A ce jour, nous avons organisé une soixantaine de concerts dans différentes salles de l’entité cominoise.

 

Notre public est non seulement très réceptif mais aussi très fidèle (en moyenne 100 personnes par concert, ce qui constitue, en jazz/club, un record d’affluence en Fédération Wallonie-Bruxelles).

 

Je vous concède bien volontiers que ce que je vous ai narré de la vie d’une association « organisatrice de concerts de jazz et de blues et autres bonnes musiques » n’a rien de bien original.

 

Sachez cependant qu’à côté de l’ASBL OPEN MUSIC, nous avons lancé récemment une société coopérative*8 pour acquérir un immeuble sur la Grand’place de COMINES (B) et l’aménager en véritable club de jazz.

 

En quelques mois, nous avons réuni près de 500.000 euros (les copains et les copines, voir supra …) ; le permis de construire a été obtenu et les travaux commencent « incessamment sous peu » pour transformer une ancienne boîte de nuit en club de jazz (pour une jauge de 150 personnes) avec scène, piano à queue, une mezzanine « horeca », un espace livres/cd’s, un studio pour les musiciens au 2e étage, le tout dans un décor postindustriel et sympa*9, à Comines, entre Vlaanderen et la métropole lilloise.

 

Je ne peux pas m’empêcher ici de vous recommander la lecture de « Monk »*10 (Laurent De Wilde), qui nous entretient notamment de l’impérieuse nécessité de maintenir la tradition des clubs de jazz.

 

(…) « Quand on est musicien, il y a beaucoup de choses que l’on n’apprend que sur scène (…). Le piano du club peut être affreusement faux sur une octave, il faut aller chercher ailleurs sur le clavier une expression satisfaisante (…).

 

Un mauvais dîner absorbé à la hâte affecte l’humeur du trompettiste qui saute une ligne dans l’énoncé du thème.

 

Le batteur, détourné un instant de son jeu par le sourire d’une fille, perd un temps et se met à l’envers (…)

 

(…) Quand on est un jeune musicien, avec des idées précises et nouvelles sur le jazz, il est impératif de trouver un club où il sera possible de jouer régulièrement et qui servira de laboratoire (…)

 

Voilà pourquoi les clubs de jazz ont joué un rôle tellement important dans le développement de cette musique et pourquoi il me semble préférable d’aller écouter des musiciens dans ce cadre plutôt qu’en concert où leur prestation perdra un peu de cette spontanéité si essentielle. »(…)

 

 

Si tout va bien comme nous le voulons, l’ouverture du club aura lieu en début d’année 2019.

 

Ce sera le début d’une nouvelle aventure, culturelle, communautaire, un brin utopique … de quelques cinglés  qui, à Comines-Warneton, au bout du bout de la Wallonie, se relaieront tous les week-ends pour faire tourner la boîte parce qu’ils pensent encore et toujours que la musique adoucit les mœurs et que le jazz, open music, libère les esprits et encourage les énergies positives.

 

Avec la volonté de partager leurs valeurs avec le plus grand nombre, et, grâce à cette modeste contribution dans le « Journal des avocats », avec des avocats qui pensent avec Boris Vian que, sans le jazz, la vie serait une erreur …

 

That’s all, folks !

 

Jean-Jacques VANDENBROUCKE,

Ancien bâtonnier – Barreau de TOURNAI,

 

fan de J.S. Bach, de Chostakovitch, de Mahler, d’Arvo Pärt, de Django Reinhardt, de Miles Davis (toutes périodes confondues), de Thelonious Monk, de John Coltrane, de Charlie Mingus, de Led Zeppelin, des Doors, de Georges Braessens, de Bobby Lapointe, de Claude Nougaro, de Johny Cash, de Neil Young, de Glass Museum, de Dans Dans, de Charles Loos , d’Anthony Braxton, d’Antoine Pierre, de Mélanie de Biaso, d’Eric Lenigni, d’Aka Moon, de TaxiWars, d’Ivan Paduart et de Greg Houben*11, et de centaines d’autres musiciens(-nes) qui nous rendent la vie plus belle.

 



*1 ARKHAM, avec notamment le regretté Paolo RADONI.

*2 Même si j’ai joué – fort mal – de l’harmonica dans un groupe très éphémère, le Vandenbluesband….

*3 Robben Ford n’est pas venu … Il a filé à la dernière minute à MONTREUX (c’est plus prestigieux que HOUTHEM-COMINES, je vous l’accorde) ; ça vous donne une idée des joies de l’organisation d’un festival…

*4 On a connu le temps des miss labellisées « Philip Morris » qui distribuaient des clopes aux festivaliers. O tempora, o mores !

*5   voir le site www.openmusicjazzclub.be

*6   Il y a deux formidables Avishai Cohen, l’un est contrebassiste, l’autre est trompettiste.

*7   (re)voir les œuvres « jazz » d’Alechinsky, de Matisse, de Van Dongen, de Paul Colin, d’Otto Dix, de Picasso, d’Andy Warhol, (re)lire Jean Cocteau (qui fut un batteur approximatif au Bœuf sur le Toit !), Georges Perec, Boris Vian ou Jack Kerouac et tant d’autres qui ont raconté leur jazz par leurs images ou leurs écrits.

*8   SCRL LE CLUB (de jazz), 13, Place Sainte-Anne, à 7780 COMINES (B)

*9 Pour l’ambiance et le décor, on lorgne plutôt du côté du Jazz Village et du Duc des Lombards que du Bim Huis (le cube de verre à Amsterdam qui est au club de jazz ce que Michael Buble est à Frank Sinatra …)

*10 « Monk » de Laurent De Wilde, Folio 3009

*11 Ils ont joué hier soir à Comines et logent à la maison. Je ne peux pas décemment les oublier dans la liste de mes chouchous alors qu’ils jettent un coup d’œil sur l’article que je suis occupé à rédiger …